UNE FEMME, UN SIECLE : fin XIXe siècle par MARIE
Dans cette rubrique : « Une femme, un siècle » j’ai imaginé l’héroïne et ses propos mais toutes les personnes, sujets et anecdotes qui apparaissent dans ce récit sont réels.
BIENVENUE DANS LA FIN DU XIXe SIECLE de MARIE
Je m'appelle Marie et j'ai vingt ans.
Maman était lavandière et lavait juste le linge.
J'ai préféré devenir blanchisseuse car cela me permet de gagner un peu plus même si mon travail me prend plus de temps.
Cela vous semble normal de retrouver votre linge propre et repassé mais vous ne voudriez sans doute pas faire mon métier.
Puisque vous êtes intéressée, je vais vous expliquer tout cela en détails.
J'ai la chance d'être "costaude" ce qui me permet de porter le balluchon de linge sale récupéré, jusqu'à ma brouette.
Les hommes qui nous regardent passer, comprennent combien notre travail est "physique" et ils nous respectent quand ils nous voient porter balluchon et panier si lourds...
Jean Dagnan dit Dagnan-Bouveret (1852-1927) Français
A la campagne le linge était lavé 1 à 2 fois par an, au printemps et à l'automne, quand le travail des champs était moins prenant.
Les lavandières se retrouvaient au bord de la rivière ou au lavoir.
Pour laver ce linge les femmes utilisaient de la "buée" sorte de lessive à base de cendres de bouleau.
(Ce qui a donné le terme de "buanderie")
Sarkis Diranian (1859-1938) Turc
Jean Dagnan dit Dagnan-Bouveret (1852-1929) Français
La teneur en potasse des cendres, a pour effet de détendre et écarter les fibres des tissus ce qui permet de les nettoyer en profondeur mais sur le long terme cela ternit le linge blanc ou très clair.
Je vis à Paris et la demande de blanchisserie est très importante, ce qui explique que nous sommes à peu près 100 000 à faire ce métier.
J'ai mon matériel que je garde précieusement :
Ma brouette, à claire-voie pour permettre au linge de s'égoutter quand je le transporte vers les séchoirs
Mon coffre ou "agenouilloir" garni de paille et de chiffons pour protéger un peu mes genoux et la planche à laver :
Mon battoir à linge, en bois, pour "essorer" le linge en le tapant :
Ma pince en bois pour sortir le linge de l'eau bouillante :
Ma brosse pour enlever les taches : brosse réalisée à partir des racines de Chiendent, lavées, écorcées et fixées dans le dos de la brosse :
Plusieurs étapes dans le nettoyage du linge :
Le trempage :
Il faut laisser le linge dans le cuvier d'eau froide avec du gros sel toute une nuit.
Le brossage :
Enlever les saletés dans le tissu avec la brosse.
(Il faut avoir le coeur bien accroché pour nettoyer les mouchoirs...)
Le lessivage :
Il y a maintenant en plus des cendres, une plante qui nous aide à "laver" : la Saponaire
Nous faisons infuser 2 poignées de cette plante dans un litre d'eau bouillante pendant 10 minutes.
Il faut laisser refroidir en couvrant, puis filtrer pour obtenir une eau savonneuse à souhait, très utile pour le linge délicat que l'on ne pourrait brosser sans l'abîmer.
Le rinçage :
A l'eau froide, voire glacée l'hiver...
L'azurage ou blanchissage :
Autrefois pour rendre le linge plus blanc on pilait des pierres lapis-lazuli d'un bleu profond et on les mettait dans l'eau avec le linge. Ce qui coûtait une fortune, parfois plus que l'or.
Deux produits que nous pouvons maintenant utiliser :
Le bleu Guimet
Monsieur Guimet a réussi à créer un bleu Outremer de synthèse, 2500 fois moins cher que les pierres.
Les peintres hésitaient à utiliser ce "faux bleu", plutôt que les pierres, Ingres sera le premier peintre à l'utiliser dans ses tableaux.
Plusieurs marques de bleu Outremer :
Et le chlore
Le chlore a été découvert en 1774 par le chimiste suédois Scheele.
Claude-Louis Berthollet découvre les propriétés décolorante du chlore et celui-ci sera fabriqué dans le village de Javel au sud-ouest de Paris, sous le nom d'eau de Javel, pour blanchir le linge et le papier.
Puis en 1820, le pharmacien Antoine Germain Labarraque démontrera l'utilité de l'eau de Javel comme désinfectant.
Certaines lavandières étaient réputées de moeurs légères et les hommes venaient les troubler dans leur travail le long des fleuves.
Pour enrayer cette prostitution, des bateaux-lavoirs vont s'installer sur les quais sous la surveillance d'un propriétaire afin que les blanchisseuses travaillent en toute tranquillité.
Les propriétaires des bateaux-lavoirs perçoivent une taxe de 4 sous par personne, plus un sou pour la location de l'indispensable baquet à laver le linge.
Nous travaillons 10 à 12 heures par jour, du lundi au vendredi et une demi-journée le dimanche.
Le prix payé pour notre travail est entre 3 et 4 francs de l'heure et je paye ma place 5 centimes de l'heure.
Nous sommes courageuses, je suis fière de le dire, car nous blanchissons par tous les temps.
Ce n'est pas rien de tremper le linge, le battre, le tordre, le savonner, le rincer, l'essorer et l'étendre...
Et plus le linge est mouillé plus il est lourd à manipuler.
Je suis jeune mais je sais que comme toutes les autres blanchisseuses, j'aurai en vieillissant des rhumatismes à cause de l'eau parfois glaciale, des problèmes pulmonaires dus aux vapeurs des produits et l'exposition journalière aux courants d'air.
Mes mains sont déjà bien abîmées par l'eau froide ou bouillante quand je sors le linge et mon dos me fait mal car je suis toujours penchée.
Les charges lourdes (paniers de linge ou sacs) provoquent des fausses-couches ou des accouchements prématurés sur nombre de blanchisseuses.
"Toute la journée dans un baquet jusqu'à mi-corps, à la pluie, à la neige, avec le vent qui vous coupe la figure; quand il gèle, c'est tout de même, il faut laver...
On a ses jupes toutes mouillées dessus et dessous" écrit Victor Hugo dans Les Misérables.
J'ai une amie qui est repasseuse et le maniement du fer à repasser est un travail pénible et peu rémunéré.
Rose utilise un fer plat et parfois un fer qui comporte un logement dans lequel on met des braises.
Ce dernier est très lourd (2 kg 800) à soulever pendant plusieurs heures.
Son bras lui fait mal à la fin de la longue journée et elle se fait régulièrement des brûlures.
Mais dans nos bateaux-lavoirs, les pauses du midi et de l'après-midi, avec une boisson chaude qui nous est offerte, nous réconfortent.
Les ragots vont bon train, les rires aussi et cela met du baume au coeur et du coeur à l'ouvrage...
J'oubliais de vous dire que l'époux d'une de mes clientes m'a parlé d'un Américain appelé Nathaniel Briggs qui aurait déposé le 26 mars 1797, un brevet pour une machine à laver mécanique.
Invention révolutionnaire avec un principe simple : faire tourner du linge dans une cuve avec une manivelle et du produit nettoyant !
Il m'a même montré le dessin de cette machine :
Je crois qu'il s'est moqué de moi...Comment une machine pourrait-elle nous remplacer...?
J'espère que cette promenade dans mon siècle vous aura plu...
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